Témoignage de Louise Faure-Favier

« HENRY DU ROURE

Un grande jeune homme, mince, de tournure élégante et quelque peu nonchalante ; un beau visage pensif ; dans les yeux bruns très doux, avec le regard vif, avide de compréhension et d’action et où transparaissait une âme aimante et noble.

Elle est profondément émouvante et même étrange, la destinée de cet écrivain mort à trente ans, le 21 septembre 1914, sur le champ de bataille de Lorraine. Deux mois auparavant – le 17 juillet – il mettait joyeusement le point final à son roman Vie d’un Heureux, qui vient de paraître par les soins de son ami Jean des Cognets, et pieusement préfacé par lui.

J’ai gardé le souvenir de la dernière poignée de main d’Henry du Roure, dans le petit bureau où nous travaillions ensemble, et du sourire un peu triste et gamin à la fois avec lequel il me parla de son livre : " Ce sera peut-être un roman posthume, me dit-il, au moins on ne l’éreintera pas."

Le lendemain, premier jour de la mobilisation, il partait et, bien qu’il fût de santé faible, il se montrait plein d’entrain et de courage. Nommé bientôt sergent, il était proposé pour le grade d’adjudant, lorsque, à la tête de ses hommes, qu’il entraînait à l’assaut d’une tranchée, il tomba atteint de cinq balles dont une au front et une au cœur.

Je feuillette son livre, tout ce qui reste de lui avec deux autres romans : La Princesse Alice et La petite Lampe, et ses chroniques de combat parues à la Démocratie. Mais Vie d’un Heureux m’attire plus particulièrement, à cause de son titre douloureusement ironique, et parce qu’il débute par un éclatement de joie : " Je suis heureux. Vraiment je suis tout à fait heureux..." pour se terminer par : " De Profundis clamavi ad te Domine... Des profondeurs de ma misère j’ai crié vers toi, ô mon Dieu..."

Jeunesse fauchée, pensée éteinte, corps qui se dissout dans son uniforme terreux. Du moins, le livre est là, plein de talent et de vie, tel un enfant posthume qui prolonge parmi nous un cher souvenir.


LOUISE FAURE-FAVIER. » (1)

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(1) Jeanne Lucie Augustine Claudia FAURE-FAVIER, dite Louise Faure-Favier, née le 12 décembre 1870 à Firminy (Loire), décédée en 1961. Journaliste, femme de lettres, pionnière de l’aviation française en qualité de femme pilote, amie des grands poètes (Marie Laurencin, Guillaume Apollinaire, …), ainsi que des pilotes de son temps (Jean Mermoz, ...). Féministe avant l’heure. Officier de la Légion d’honneur.


SOURCE

Bulletin des écrivains, n° 9, Juillet 1915, p. 2